~ La mémoire humaine ~
La mémoire humaine a-t-elle une limite ?
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Bienvenue sur le site de notre TPE, réalisé par Emma B., Honorine D. et Léonie D., élèves de 1ère S au lycée Blaise Pascal de Longuenesse en 2015/2016. Bonne visite !

 

3) L'énigme des souvenirs d'enfance

         


          Pourquoi oublie-t-on sa toute petite enfance ?
La question de l’amnésie infantile intrigue les chercheurs depuis plus d’un siècle. La psychologie et la neurobiologie apportent aujourd’hui des réponses, mais une part de mystère persiste.
          Quel est votre plus ancien souvenir ? La bouée à tête de canard de vos premières vacances à la mer ? La glace de papa fondu sur le bout de votre petit nez ? Une rencontre magique avec le père Noël dans un grand magasin ? La naissance de votre petit frère ? Quelle que soit sa nature, il y a peu de chance que votre tout premier souvenir soit antérieur à votre deuxième, voire même troisième anniversaire : nous oublions tous les premières années de notre vie. Baptisé « amnésie infantile », ce phénomène universel intrigue psychanalystes et psychologues depuis plus d’un siècle.

      
          En 1910, le père de la psychanalyse, Sigmund Freud s’interrogeait déjà sur ce mystérieux trouble. Il avait notamment émis une hypothèse : « Les souvenirs du début de l’enfance sont trop marqués par une problématique œdipienne et incestueuse. À cet âge, les enfants développent le complexe d’œdipe, il n’est pas rare de voir un enfant dire ‘’je veux me marier avec Papa/Maman’’. Les souvenirs sont donc rendus inaccessibles à leur conscience par un mécanisme de refoulement ».
         Mais depuis cette hypothèse, la psychologie cognitive et la neurologie ont multiplié les recherches pour donner leur propre explication de l'amnésie infantile. Une étude a été notamment menée par une psychologue américaine de l’université d’Emory à Atlanta. C’est l’une des premières fois où l'on réussit à cerner la chronologie spécifique du phénomène.
Lors d'une 1ère session, des mères devaient faire remémorer à leurs enfants de 3 ans et demi, six événements récents en discutant. Puis, lorsqu'ils avaient 5, 6, 7, 8 ou 9 ans, les enfants revenaient au laboratoire pour être interrogés par les chercheurs sur ces événements.
          Le résultat de cette expérience fut fascinant : les enfants âgés de 5 à 7 ans s’en souvenaient à plus de 60 % alors que les enfants de 8 et 9 ans ne s’en souvenaient qu’à moins de 40 %. Grâce à cette expérience, les psychologues ont pu conclure que l’âge charnière de l’amnésie infantile se situerait entre 7 et 8 ans.
C'est-à-dire que ce serait entre l'âge de 7 et 8 ans que l'on oublierait la quasi-totalité de nos souvenirs de petite enfance. Reste à comprendre comment ces souvenirs se sont effacés.
          Une réponse intéressante a été apportée par une équipe de neurobiologistes de l’université de Toronto. Ils ont mené une expérience sur plusieurs groupes de rongeurs. Ils se sont alors aperçus de plusieurs facteurs. En effet, plus la neurogenèse (synthèse de nouveaux neurones) était active dans le gyrus denté (une des sous-structures de l’hippocampe), moins les souvenirs étaient présents. Or l'hippocampe est justement l'aire cérébrale impliquée dans la formation de la mémoire épisodique ! À l’inverse, lorsque la neurogenèse était empêchée grâce à l’action d’une substance chimique, les rongeurs gardaient plus de souvenirs.
          Même s'il est impossible de réaliser ces expériences chez l'Homme, il est raisonnable de penser que l'amnésie infantile est due, au moins en partie, à un niveau plus élevé de neurogenèse durant l'enfance.
          La synthèse de nouveaux neurones - l’excès de neurogène dans le gyrus denté - est particulièrement active durant l’enfance. Ce serait l’une des causes de l’amnésie infantile. En effet, l’oubli des souvenirs serait lié à l’amélioration de notre capacité à apprendre de nouvelles choses. Conserver les souvenirs plus anciens pourrait se faire au détriment de nouvelles connaissances. Durant les premières années de vie, de nombreuses choses changent dans le cerveau : les fibres nerveuses se protègent pour permettre un transfert des informations plus rapidement, le cerveau grossit (la synthèse de nouveaux neurones et d’autres cellules), les récepteurs sont modifiés réagissant aux différents neurotransmetteurs...
          C'est l'ensemble de ces mécanismes de maturation de l'hippocampe, dont le terme se situe vers 5 ans, qui expliquerait l'amnésie infantile.
        Malgré ce que nous pouvons penser, l’oubli ne serait pas le seul responsable de l’amnésie infantile. Il ne constitue qu’une des composantes de ce trouble énigmatique. Si nous avons oublié nos premiers mois ou années de vie, c’est aussi parce que les souvenirs qui leurs correspondent n’ont tout simplement pas été enregistrés ! Ou qu’ils ont été enregistrés de façon partielle. Des travaux réalisés en 2012 par l'équipe d’une professeure en psychologie à l’université d’Otago en Nouvelle-Zélande pourront nous éclairer sur cette hypothèse. Après avoir interrogé 47 enfants âgés de 2 à 5 ans dans les semaines qui suivaient la naissance de leur petit frère/sœur, la chercheuse a constaté un fait étonnant. En effet, les enfants les plus jeunes au moment de la naissance de leur frère/sœur se souvenaient de moins de détails de l’événement que ceux qui étaient plus âgés. L’intervalle de temps qui s’est écoulé entre la naissance et l’interrogation est trop court pour qu’ils aient oubliés des détails. C’est donc au moment de l’événement que les enfants les plus jeunes ont enregistré moins d’informations que les enfants plus âgés.
          Pour autant, les jeunes enfants et nourrissons ont une mémoire implicite (= inconsciente) particulièrement efficace. En effet, ils se souviennent très bien des bruits et sons auxquels ils ont été confrontés lors des premiers jours/mois de leur vie et même in utero. Ces jeunes enfants et nourrissons ont aussi une très grande capacité à reconnaître des visages (outre ceux de leurs parents). Des études en février 2014 par l’université d’Aarrhus au Danemark ont été réalisées. Des enfants de 3 ans ont été capables de se souvenir d’un visage qu’ils n’avaient vu qu’une seule fois à l’âge d’un an.
         Ils ont également une capacité à se souvenir d’une expérience passée dès l’âge de deux mois. Une expérience a été réalisée à l’université de Rutgers aux États-Unis qui est devenue très célèbre appelée « renforcement conjugué ». Un mobile a été relié à l’aide d’un ruban aux pieds d’un bébé. Celui-ci découvre alors qu’il peut le faire bouger en agitant ses pieds. Quelques temps plus tard, l’expérience est reproduite et l’enfant reconnaissant le mobile, se remet de nouveau à agiter les pieds.
          La « conscience de soi » joue un rôle très important. Les souvenirs d’odeurs, de visages, d’expériences sont implicites, c’est-à-dire inconscients. Pour qu’un souvenir soit explicite et donc conscient, il faut que nous ayons conscience que cet événement nous est arrivé. C’est la conscience explicite du « soi ». Les psychologues appellent ce phénomène « sens du soi cognitif ». Or, il n’apparait que vers la fin de la deuxième année de vie d’un enfant. C’est pourquoi beaucoup de psychologues affirment que l’on ne peut envisager de mémoire réellement autobiographique avant l’âge de deux ans.
               Pour les neurobiologistes, l’âge de deux ans est un âge charnière pour une autre raison. L’hippocampe est un système cérébral complexe constitué de différentes sous-structures dont le rythme de maturation diffère de l’une à l’autre. Or, l’une des aires les plus précoces de l’hippocampe n’est mature que vers l’âge de deux ans. Ceci expliquerait l’absence totale de souvenirs autobiographiques avant cet âge. De plus, les autres structures de l’hippocampe arrivent à maturation progressivement. Cela justifierait les améliorations de la mémoire entre 2 et 7 ans.
          Pour les psychologues, la pauvreté de nos souvenirs entre cet âge est due au manque de maîtrise du langage. En effet, nous accédons à nos souvenirs en reconstruisant, intérieurement, le récit des évènements. Tant qu’un enfant n’a pas les outils linguistiques pour élaborer un récit, les souvenirs autobiographiques demeurent fragiles. Une expérience a montré que les enfants qui ont de plus de vocabulaire au moment d’une expérience s’en souviennent ensuite le mieux.
         Mais même s'ils ont les capacités linguistiques, les jeunes enfants ne racontent pas spontanément les événements qui leurs sont arrivés. Or c'est en racontant que l'on structure sa mémoire autobiographique. Il s'agit d'une pratique culturelle où les parents jouent un rôle important. Ils doivent inciter le récit en posant des questions complémentaires sur les protagonistes, le contexte, les états émotionnels (discours élaboratif), afin que leurs enfants enrichissent la représentation qu'ils se construisent de l'événement. Plus riche, le souvenir devient plus stable. C’est la qualité du dialogue entre les enfants et leurs parents qui expliqueraient la qualité et la précocité de nos plus anciens souvenirs.
          Reste que ni les neurobiologistes ni les psychologues ne parviennent pour l'heure à expliquer comment notre cerveau « choisit » les souvenirs à conserver. Qu'est-ce qui explique que parmi tous les souvenirs autobiographiques constitués entre 3 et 7 ans, seule une partie d'entre eux sera stabilisée dans la mémoire autobiographique à long terme ? La question reste ouverte.
 
 



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